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Histoire ~ 1 5 Juin 1993, Palerme, Sicile.Les flammes grimpaient vers le ciel, comme si elles cherchaient à le pourfendre de leurs dagues rouges et dansantes. Tout brillait, tout se consumait inexorablement, tout ce qu'il avait connu était dévoré par cet incendie, si beau et macabre spectacle auquel il assistait, impuissant. Il avait essayé de ne pas écouter ces cris. Si glaçant, si terrifiants. Le silence que les avait précédés était bien pire, parce que cela signifiait bien que ses parents étaient morts, prisonnier de cette géhenne de feu.
Couché dans l'herbe, les mains attachés dans son dos, le jeune Matteo Valentine contemplait muettement sa vie passée partir en fumée. Ses yeux parme étaient grands ouverts, mais il ne pleurait pas. Sa douleur ne pouvait s'exprimer que par quelques gouttes d'eau dévalant ses joues, non. Il se sentait comme un funambule vacillant sur une corde au-dessus du gouffre béant de la folie.
Sa mère, son père, son unique famille. Pourquoi n'était-il pas avec eux, à danser tel un pantin dans les flammes, sa chair se calcinant alors que la vie partait lentement, bien trop lentement de ce corps consumé par la douleur? Pourquoi était-il vivant, lui?
Une main gantée empoigna sans douceur aucune ses longs cheveux blonds, l'obligeant à tendre le cou dans un gémissement. Une femme le fixait attentivement, un genou posé à terre. Elle était belle, si l'on pouvait s'attarder sur ce détail à un moment pareil, son visage ferme éclairé d'un large sourire suave était encadré d'épaisses boucles auburn.
"Alors, alors…voici donc le petit Valentine? Matteo, c'est bien ça?"
Aucune réponse ne vint, et de toute façon la femme n'en attendait pas. Bien sûr qu'elle savait qui il était, et même très bien. Elle s'était renseignée sur chaque membre de cette famille d'importants sorciers, pour mieux les détruire.
"Comment trouves-tu? C'est l'œuvre d'une Salamandre, elle est assez douée, n'est-ce pas?"
Son rire cristallin martela douloureusement les oreilles de l'adolescent. La femme libéra sa chevelure sèchement avant d'ajouter d'un ton mielleux:
"La lune va bientôt se lever…es-tu prêt à mourir, mon joli…?"
Rouge. Quelle couleur ignoble…il la détestait.
C'était la couleur du sang, du feu.
Du feu qui avait tué sa famille, du sang qui coulait à cet instant même de son propre corps. Cette femme…non, ce n'était plus exactement une femme, mais une tigresse... Il voyait comme à travers un voile de plus en plus opaque cette créature hybride l'égorger avec une lenteur et une minutie abominables.
Puis il entendit des cris. La tigresse fut comme projetée au loin, et il entendit son pas précipité. Les voix masculines se rapprochèrent, un cri de surprise et d'horreur lui lacéra le cerveau. C'est vrai qu'il ne devait pas être beau à voir, avec sa gorge à moitié dévorée et son sang répandu dans une mare d'un bon mètre de rayon.
Pourtant, il était encore envie. Et c'était bien la dernière qu'il avait souhaité cette nuit-là.
25 Juin 1993, Palerme, Sicile."Le jeune Matteo Valentine est un excellent élément de notre établissement. Son père était un ambassadeur des Etats-Unis respecté et important, et sa mère une brillante Maîtresse des Potions, dont il a d'ailleurs hérité des talents. Oui, oui, il est promis à un brillant avenir, cependant…"
Le Directeur de l'Ecole de Sorcellerie de Palerme leva son visage rond de sa feuille de note pour contempler l'avocat à mine grave assis en face de lui, puis le jeune blond dont il venait de faire un éloge modéré. Ce dernier avait la gorge couverte de bandages et ses cheveux avait été coupés courts, mais c'était surtout son expression qui faisait peur à voir. Il n'était déjà pas à l'origine un enfant très ouvert et souriant, mais depuis la mort de ses parents, c'était pire encore. Il avait l'air d'un prédateur prêt à mordre. Et ce n'était exagéré, car des rumeurs rapportaient qu'il avait été de nombreuses fois à deux doigts d'agresser les infirmiers qui s'occupaient de lui à l'Hôpital Magique.
L'homme se rengorgea nerveusement, et ajouta d'un ton prudent:
"Cependant…nous ne pouvons prendre le risque que son…sa…
particularité nouvelle ne vienne troubler le bon ordre de notre illustre établissement. De plus, plus aucune famille ne pourra assurer ses frais de scolarité, et je doute d'une bourse puisse…
_Dois-je comprendre, intervint d'une voix lente et grave le blond, que je ne suis plus le bienvenu ici?
_C…C'est exact. Ne m'en tenez pas rigueur, vous aurez certainement votre chance dans d'autres établissements, peut-être aux Etats-Unis…"
Matteo esquissa un sourire parfaitement hypocrite, et le remercia d'un ton mielleux avant de prendre congé. Ainsi, on le jetait dehors parce qu'il était devenu un garou?
La rage bouillonnait en lui, ses nerfs étaient tendus comme autant de cordes sur le point de se rompre. Qu'allait-il faire maintenant? Il n'avait que seize ans, et même s'il lui restait un héritage (dont une majeure partie avait brûlé en même temps que sa famille) il était très embêté sur le plan scolaire. Si aucune école de souhaitait de lui, qu'allait-il faire?
Après son renvoi de l'Ecole de Sorcellerie, Matteo resta en Sicile et du apprendre par lui-même, en autodidacte, les méandres de la matière qu'il avait souhaité enseigner une fois adulte: les potions.
24 Décembre 1995, Palerme, Sicile.Matt referma son livre épais dans un claquement sec, et se leva dans un grondement las de son bureau. Un coup d'œil par la fenêtre lui indiqua que le soleil se couchait déjà. Il entendait la rumeur joyeuse des festivités qui accompagnaient inlassablement le réveillon. En comparaison avec la moindre ruelle de Palerme, sa maison était un monastère perdu au fin fond de la Grèce. Il n'assistait pas aux réjouissances collectives, d'abord parce qu'il détestait ça, et de deux…
Ce soir, ce serait la pleine lune…
Etirant ses bras au-dessus de la tête, le jeune homme d'une vingtaine d'année se dirigea vers la cuisine de sa petite maison, glana un cachet d'aspirine qu'il avala dans un trait d'eau. Nouveau soupir. Il détestait ces nuits, parce qu'il détestait en général perdre le contrôle de lui-même.
Ses pas lents et comme entrés dans un traintrain fatiguant le menèrent jusqu'à la porte de la cave, que l'on avait visiblement pris soin de renforcer. Il la referma derrière lui, et enclencha la petite dizaine de verrous magiques ornés d'un petit cercle d'or qui le tiendrait éloigné en cas de besoin. Il descendit d'un pas pesant l'escalier dans l'obscurité la plus totale, et lorsque ses pieds rencontrèrent la surface bétonnée et plane du sol de la cave, il jeta un bref regard au soupirail défendu de barreaux solides eux-même recouverts de fines bandes d'or feuilleté, par où pénètreraient bientôt les rayons de cette maudite lune.
Avec une lenteur lasse et monotone, il commença à se dévêtir, jetant négligemment ses vêtements sur une table branlante.
Enième soupir. Ce "rite" malsain allait perdurer jusqu'à sa mort. Cette douleur, bien plus morale que physique, allait continuer de le ronger de l'intérieur.
Un sourire amer et sinistre étira ses lèvres, alors qu'un rayon argenté s'infiltrait silencieusement par le soupirail.
A l'extérieur, les gens riaient et s'offraient des cadeaux sous les lumières vives et colorées de Noël, dansaient et chantaient des airs traditionnels en célébrant cette fête populaire attendue de tous avec impatience…
20 Août 1997, Palerme, Sicile."Matteo, comment peux-tu être si insensible à ce que je ressens en ce moment?"
Une volute de fumée blanchâtre s'éleva paresseusement dans l'air. Les lèvres incolores du Sicilien étaient entrouvertes, jouant machinalement avec la cigarette qu'il venait de coincer entre elles.
Ses yeux améthyste adressèrent un regard froid, presque mauvais, sur la belle jeune femme assise en face de lui. Ce petit café de Palerme avait tout du coin favori des amoureux: calme, avec des pergolas ployant presque sous le poids des fleurs de bougainvilliers, vue sur la mer, et même un petit orchestre campé à l'ombre de la terrasse.
"Matt!"
Elle s'appelait Carina, si ses souvenirs étaient bons. Une jolie fille, de petite taille, si mince qu'elle en devenait dure au toucher, aux longs cheveux blonds parsemés de mèches abominablement roses, et dont les immenses yeux bleus ourlés de mascara lui lançaient un regard frustré. Et elle était originaire de Corse.
"Tu m'écoutes?
_Oui…soupira le Sicilien d'un air grognon en tirant sur sa cigarette pour contenir son envie pressante de partir en courant de ce café immonde.
_Notre relation dure depuis quelques temps déjà, et j'aimerai être sûre de tes sentiments dans ce détour qui se révèlera décisif pour…"
Matt abaissa ses paupières en la laissant babiller tranquillement, lui exposant par des contours et détours exaspérant pourquoi elle voulait le quitter après une "relation" de deux mois. Parce qu'il avait eut le malheur de lui apprendre qu'il était un tigre-garou. Cette magicienne d'une famille aisée -et furieusement louche côté activités parallèles- ne pouvait bien entendu pas se permettre de mettre sa précieuse petite vie en danger à cause d'un rital de tigre-garou, et fauché de surcroît…
Le blond poussa un soupir, planta son regard dur dans celui de la jeune femme avant de la couper dans son très, très long discours, qu'elle avait d'ailleurs du préparer d'avance:
"Carina…
_Carina? Mais…je m'appelle Adelina!
_Peu importe. Ecoute-moi deux secondes, t'es gentille: primo, j'ai compris que t'en avais marre de moi, d'accord? Secundo, je suis sincèrement ravi de ne plus subir avoir à subir tes bavardages et tes horribles mèches roses."
Adelina afficha une expression indignée, vira au rouge pivoine avant de cracher d'un ton bien moins mignard qu'auparavant:
"Ah oui? Et bien laisse-moi te dire, le rital, que moi aussi j'en avais plus qu'assez de ta brutalité! Ah! D'ailleurs ça me paraît logique maintenant: tu n'es qu'un animal! Tu mériterais qu'on te jète dans un zoo plutôt que de te laisser en liberté!"
Son beau visage était complètement déformé par un rictus de hargne pure. Elle se leva prestement, manquant de justesse de renverser sa chaise, et s'éloigna aussi rapidement que lui permettaient ses talons aiguilles.
Matt la regarda s'en aller avec un petit et abject sourire, et écrasa sa cigarette dans un cendrier.
Il ne la reverrait jamais, Adelina. Comme toutes les autres. Et c'était tant mieux pour elles, tant pis pour lui. Il avait finit par s'habituer et apprécier la solitude qu'imposait sa "race". Les femmes étaient trop fragiles pour supporter ses instincts de félin, elle ne pouvait jamais endurer bien longtemps sa rudesse, son caractère acariâtre et finissaient toujours par s'en aller. Qui sait, peut-être finirait-il par jeter son dévolu sur les hommes. Mais cette heure n'était pas encore venue, de toute évidence.
Matt vida d'un trait son verre d'amaretto, puis se leva à son tour.
Quelques minutes plus tard, il marchait distraitement sur une promenade au bord de la mer. Il regarda les vagues s'écrasant sur le rivage, et laissa le vent chargé d'embruns glisser ses doigts dans ses cheveux blonds et consteller son visage de minuscules gouttes d'eau salée.
C'était la dernière fois qu'il profitait des beaux paysages de son île natale, aussi se permit-il un fantomatique sourire.
Chi vôli Ddiu, Sicilia.*¤*¤*