Ennui

Renart se sentait d’humeur aventurière, aujourd’hui. Il s’était levé de bon matin (après s’être battu contre son réveil puis avoir essuyé une pluie d’oreillers harmonieusement exécutée par ses camarades de dortoirs, probablement offusqués de la stridente sonnerie qui les avait pourtant vaillamment tirés de ce qui, dans cette pièce glauque, ne pouvait être que cauchemars et mauvais rêves), en pleine forme (après avoir fait plusieurs séries d’étirements dans le but de retrouver l’usage de son bras gauche, sur lequel il avait eu la malchance de s’endormir) et bien décidé à profiter du temps magnifique (que, certes, il ne pouvait pas bien distinguer, mais dont on lui rebattait les oreilles depuis qu’il était debout).

Une fois dans le hall, après quelques malencontreuses rencontres avec des murs inattendus (et quelques rencontres loupées avec des marches d’escaliers), Rag décida que rien ne pouvait entamer sa bonne humeur et fouilla sa poche à la recherche de ses lunettes.

oO ….putain ! C’est toujours quand je me décide à les mettre qu’elles sont introuvables ! Oo

L’adolescent se passa une main dans les cheveux en faisant la moue. C’était pas une stupide paire de lunettes qui allait lui pourrir sa journée, d’abord !
Ce fut donc avec enthousiasme qu’il se décolla du mur qui lui servait d’appui stratégique, et qu’il se dirigea vers la porte –grande ouverte, dieu merc pour une fois– afin de sortir au grand air.
Le soleil, comme promis, était d’une redoutable agressivité. Mais c’était pas un peu de lumière qui allait lui pourrir sa journée, hein ? Renart plissa donc les yeux, baissa la tête et se mit vaillamment en route dans le parc. Il devait bien avouer qu’il n’y voyait pas grand-chose, mais…. euh…. la température était agréable ! Voilà, la température était idéale !
…Un peu élevée quand même, peut-être. Renart se mit donc en quête d’un coin ombragé où faire la sieste –il fallait bien récupérer de cette matinée difficile, tout de même !
Le demi-ange traversa donc le parc, en faisant un sans-faute malgré les nombreux buissons, arbres, pâquerettes et autres embûches qui parsemaient la pelouse. Particulièrement fier de lui, Renart leva les yeux vers les arbres qui marquaient le début de la forêt…

oO Ahah ! Dans vos gueules, les arbres ! Mon ombre, s’il vous plaît ! Oo

….et bien mal lui en prit, car il se prit aussitôt les pieds dans le premier objet venu –assez mou, d’ailleurs. Peut-être pourrait-il s’en servir d’oreiller ?
Ces considérations occupaient toutes les pensées de Renart lorsqu’il s’écrasa lamentablement à plat ventre dans les fleurs, non loin de son futur oreiller.

« Aaargl. Bordeeel. Connerie de truc ! »

Il se retourna pour considérer d’un œil mauvais et myope ledit truc, qui s’avéra être…

oO …C’est un garçon ou une fille ? Oo

…un garçon ou une fille. (1)







(1) : Il faut dire que Rag est à au moins un mètre de Tialek, rendez-vous compte ! Et celui-ci est à contre-jour. En plus.

Il avait fermé les yeux et commencé à s'assoupir. Oh, la délicieuse sensation de s'enfoncer dans le sommeil sans plus avoir à se soucier du monde extérieur... !
Ouais. Jusqu'à ce qu'un truc lui tombe dessus. Un instant, son rêve se confondit avec la réalité. Il s'imagina qu'il était une touffe d'herbe écrasée par une vache. La faute à l'excès de vert-gazon autour de lui qui lui faisait faire des rêves aussi bizarres.
Puis il comprit qu'un... truc, avait osé trébucher sur lui. Dans la réalité. Encore, dans un rêve, il aurait pu comprendre. Mais dans la réalité, c'était un affront à sa personne qu'il ne pouvait accepter.

oO QUI est l'imbécile qui... Oo

Le jeune homme se releva tant bien que mal. Il se sentait courbaturé de partout. Voyons... autour de lui...
Ah ! Le coupable était là. Un imbécile à plat ventre dans l'herbe. Il broutait les fleurs, peut-être ? Ouais, ça devait être la vache du rêve. Pas possible autrement. Ce type était une vache. Et il avait le cerveau d'une... enfin, peut-être pas d'une vache, disons un truc suffisamment petit et imbécile pour oser trébucher sur le dénommé Tialek – lui-même, quoi. Et le réveiller.

« Bonjour. Enchanté. Je suppose que je suis la connerie de truc ? Ou bien peut-être parles-tu à l'herbe ? Ou à la pâquerette juste devant toi ? J'en ai jamais entendu parler, mais... »

Tialek leva un sourcil interrogateur vers l'autre.

"Greuh."

Renart entreprit de se redresser en s'appuyant d'abord sur ses coudes -aïe- puis ses genoux -ouch- puis ses mains -ah putain de merde mon poignet ! Esquissant une grimace douloureuse, il pivota pour faire face au garçon -vu sa voix, en tout cas, à moins que Rag ne soit tombé sur une représentante d'une autre espèce bizarroïde ?- et se laissa tomber avec plus de précaution que de grâce sur son séant.
Plissant les yeux, le demi-ange s'aperçut avec satisfaction que dans cet endroit ombragé, il arrivait tout de même vaguement à distinguer son interlocuteur.
Passant outre le fait que les étranges colorations des chevelures de ses camarades de classe ne le dérangeaient habituellement pas outre-mesure -tant qu'il s'agissait de filles, apparemment, parce que les filles avaient bien le droit d'être un peu bizarres- Renart cligna des yeux et ne put s'empêcher de s'exclamer, sur un ton incrédule(après tout, il n'était pas sûr de le voir correctement :

"T'as les cheveux BLANCS ??"

oO Au moins, chuis sûr de l'avoir jamais vu. O_o Oo

Renart sembla alors se rappeler des questions précédentes du type bizarre. Il n'avait rien de mieux à faire et n'avait pas exactement envie d'essayer de se relever pour le moment, donc autant se montrer plaisant et répondre.

"Euh, ouais, c'était pour toi, le "connerie de truc". J'avais pas vu que c'était quelqu'un, enfin, qu'il y avait quelqu'un. J'ai paumé mes lunettes, en fait ! Et, euh... ah, désolé de te déranger. 'Me sens pas bien, je crois que je vais devoir rester assis un moment..."

Renart émit un petit rire forcé -AÏEUH- et passa une main dans ses cheveux. Il avait le sentiment d'oublier quelque chose...

"Ah, excuse-moi ! Moi c'est Rag, j'suis à Coactus !"

Renart tendit la main dans la direction générale de l'autre type, tout sourire.

C'était un imbécile, hein ? Oui, c'était un imbécile. Ou un impertinent. Non, en fait, c'était les deux. Un imbécile impertinent. Voilaaaaaa. Cela expliquait tout.
Pourquoi ce type s'étonnait qu'il ait les cheveux blancs ? On était dans une école avec des démons, des anges, des machins, des trucs, et lui-même, Tialek, était humain (enfin, si on exceptait le truc-démon qui cohabitait dorénavant avec lui) alors s'étonner qu'il ait les cheveux blancs...
Bon. Il devait rester zen. Ce n'était pas tant le fait que l'autre s'étonne de ses cheveux blancs et paraisse sous-entendre par là « comme les vieux ? » que le fait qu'il soit maintenant réveillé et courbaturé qui le mettait sur les nerfs.
Mais il devait apprendre à se contrôler. Inspirer, expirer... et rester tout sourire.
Quand « l'autre » confirma que la « connerie de truc » était adressé à lui, un rictus déforma son visage. Non, non, zen... son sourire était maintenant vraiment crispé, mais il parvint à garder un sourire. Ne pas l'étriper, ne pas...

« Enchanté. »

Il avait réussi, miracle, à le dire d'un ton... neutre.

« Je suis Tialek, Remissus. Rag, c'est pour rageant ? Rageur ? »

Ouais, bon, on faisait ce qu'on pouvait.

« Très heureux de faire ta connaissance. Tu veux que je t'aide pour retrouver tes lunettes, peut-être ? Tu veux aller à l'infirmerie ? »

oO Même si t'es irrécupérable ? Oo

Il avait tout de même réussi à garder son calme. Il était fier de lui. Il ne laisserait pas le démon le forcer dans des émotions colériques.
... même si en l'occurrence, il ne pensait pas vraiment que le démon y soit pour quelque chose.

Rag essaya de plier une jambe, histoire de vérifier l'état de sa musculature. Une désagréable sensation de brûlure -légère, il n'en aurait que pour quelques heures- se lança en vagues à l'assaut de son mollet, et remonta avec une lenteur insupportable jusqu'à sa cuisse.

"Aaargl. Mauvais plan. J'vais rester assis encore un peu, l'infirmerie attendra."

Renart releva la tête et planta son regard dans celui de Tialek (ou du moins dans la direction générale de son visage, c'est-à-dire juste en dessous de la tâche blanche brillante qui lui faisait apparemment office de crinière capillaire). Le demi-ange réfléchit un instant, les sourcils froncés, puis rectifia :

"Nan mais en fait j'ai pas besoin d'y aller, à l'infirmerie. J'veux dire, ça m'arrive tout le temps, de me casser la gueule."

Son visage se détendit d'un coup alors qu'il sourit de toutes ses dents.

"Mais c'est sympa, merci ! Oh, et pareil pour les lunettes : c'est chouette de ta part, mais nan, c'est bon. J'crois qu'elles sont dans ma chambre, alors..."

Renart haussa les épaules. Il remarqua que le Remissus n'avait rien dit à propos de ses cheveux blancs. Peut-être qu'il en avait honte ? En même temps, difficile d'en être fier. Ça devait pas être super pour draguer. Il devait probablement passer pour un vieux tout le temps, ou pour un espèce de type bizarre qui se teignait les cheveux, ou alors pour un de ces types qui avaient des accidents tellement super grave que leurs cheveux en blanchissaient d'un coup ?

"Au fait, t'as quel âge ? J'veux dire, avec tes cheveux blancs... Pas que t'aies l'air d'un vieux, hein ! Enfin, je sais pas trop de quoi t'as l'air, je suis un peu myope... Et j'ai que 16 ans. Tu vois, chacun son truc de jeune vieux !"

oO Enfin, c'est un jeune vieux que s'il est jeune... je m'emmêle un peu, j'crois ^^' Oo

"Oh, et t'es en quelle année ? Moi c'est ma première, c'est peut-être pour ça qu'on s'est jamais vus !"

Tialek réprima une grimace. Puis finalement, la laissa s'étaler – un peu : la grimace était perceptible si on y faisait attention, mais étant donné son interlocuteur, après tout, il ne voyait aucune raison de se retenir.

« Ainsi tu te casses la gueule régulièrement ? Et tu es toujours entier ? »

Rectification : non, il lui manquait une partie de la cervelle. Ceci expliquait sans doute cela. Mais aussi, pourquoi ce type ne gardait-il pas sur lui ses lunettes ? Sur son nez, de préférence ? Les lunettes étaient faites pour ça. Pour mieux voir.

« Tu as oublié tes lunettes dans ta chambres ? Mais... Tu ne l'as pas remarqué ? Je veux dire, tu devais mal voir, non ? Parce que tu as l'air d'en avoir besoin. »

Aux dernières questions de Rag, la grimasse du visage de Tialek s'étala bel et bien. Qu'avait-il pensé auparavant ? Qu'il devait garder son calme ? Oui, garder son calme... Ce n'était pas la faute de cet imbécile s'il était aussi... imbécile. Après tout, en effet, les cheveux blancs et gris étaient habituellement l'apanage des vieux. La question était donc toute naturelle. Oui, toute naturelle, même s'il n'avait pas de rides sur le visage, qu'il avait l'élégance de la jeunesse, qu'il... ou alors c'était que ce Rag ne voyait vraiment rien et ne pouvait remarquer que la blancheur de ses cheveux, sans voir les autres détails ?

« J'ai 19 ans. Et je suis en troisième année. Si tu considère qu'un écart de trois ans fait de moi un vieux, alors oui, j'en suis un. Je peux également rajouter que j'ai réellement 19 ans. Je n'ai pas subit je ne sais quelle métamorphose ou transformation qui me donnerait éternellement l'apparence d'un adolescent, par exemple. »

Tialek se sentit obligé d'ajouter :

« Pour ce qui est de la couleur de mes cheveux, ça vient juste d'un démon. Qui est souvent en colère. Il ne t'aime pas. »

oO En fait, j'en sais rien s'il t'aime ou pas, mais moi je t'aime pas, donc on va dire que c'est pareil. Oo