Pause goûter

Après une petite marche, où Skylark se concentra plus sur la décoration du lieu, asez simple par ailleurs, que sur le chemin qu’ils empruntaient, il allait se maudire pour ça plus tard, lui et Hybris arrivèrent dans les cuisines. Oh, de la nourriture. Peu intéressante en majorité d’ailleurs. Le gamin cacha à peine sa grimace de dégoût en apercevant des elfes de maisons découper des carottes. Il avait une haine farouche des légumes, mais c’était un brin normal. Il était cannibale, en partie, après tout.

Lorsqu’un des elfes s’approcha d’eux, pour une raison inconnue, le garçon se réfugia derrière Hybris, décidant que son aîné pouvait parfaitement servir de bouclier humain dans ce type de situation. Après une légère hésitation, il sortit en partie de sa cachette, voyant que la créature ne leur avait rien fait. Après tout, le préfet avait bien dit que ces trucs étaient gentils, hein ? Par contre, il ne parla pas lui-même à l’elfe. Hors de question de faire la conversation. On lui aurait sans doute demandé de faire un choix, ça l’aurait ennuyé.

« Je veux des biscuits. »

Marmonna le gamin tout en levant ses grands yeux sans pupilles vers Hybris. C’était plutôt une supplication qu’un ordre mais on sentait tout de même qu’il avait vaguement l’habitude d’avoir ce qu’il voulait. Gamin pourri-gâté. Il afficha une moue un peu ennuyée tout en regardant les elfes travailler et retourna ne bougea pas de sa place, restant à côté du préfet. Autant ne pas s’éloigner de la source de protection.

Hybris avait laissé Skylark passer devant lui sur la dernière partie du trajet et était entré à sa suite dans les cuisines. Une sorte de bas instinct dont il aurait préféré ne pas être conscient lui murmurait de ne pas se mettre entre un cannibale et sa nourriture.
Le Préfet eut un micro-instant de surprise légèrement paniquée quand Skylark se précipita derrière lui. Avec une certaine fierté, il s'aperçut que c'était moins la soudaine proximité de Skylark qu'il redoutait que ce qui avait pu l'effrayer. Tout en se rengorgeant d'être aussi rapide à s'adapter, Hybris releva les yeux et aperçut un elfe de maison plutôt déboussolé, à quelques pas d'eux. Cette pauvre chose inférieure ne devait pas être habituée à déclencher ce genre de réactions.
Hybris se retourna alors que le garçon bougeait légèrement pour observer l'elfe de maison. Le rouquin lui adressa son plus beau sourire n° 15 "Accorde-moi-donc-ta-confiance" et passa son bras droit autour de ses épaules avec légèreté. L'opération était bien plus délicate qu'elle ne le semblait. Il s'agissait de lui faire sentir une présence amicale et protectrice sans pour autant le faire se crisper ou se sentir bloqué. Hybris estima être parvenu à ses fins et, sur un ton calculé pour paraître très gentiment moqueur -moins de moquerie, moins de moquerie, il ne parle pas bien anglais, il risque de ne pas comprendre- lui lança :

« Eh, t'as pas à t'en faire. Ils sont inoffensifs, et puis, je suis là, non ? »

Le sourire d'Hybris s'adoucit comme par réflexe lorsque Skylark prit un air d'enfant timide pour lui demander des biscuits. S'il tenait à entrer dans ce jeu-là, Hybris était parfaitement capable de le suivre, aucun souci. Tapotant vaguement l'épaule de Skylark de sa main droite -le bras toujours passé sur les épaules du garçon- Hybris acquiesça :

« Je m'en occupe. »

Il pourrait s'habituer à cela. Il pourrait vraiment s'habituer à cela. C'était ça, ici, cette sensation, cette puissance, ce besoin que l'on avait de lui, cette confiance qu'on lui faisait. Tout son rêve était là, dans cet être redoutable se blottissant chétivement derrière lui et lui demandant d'agir pour lui. Se tournant vers l'elfe, Hybris lui demanda sur un ton royal :

« Amenez-nous des biscuits. Si vous en avez de plusieurs sortes, amenez-en un peu de chaque. »

Alors que l'elfe de maison s'inclinait puis partait fouiller avec empressement dans un placard, Hybris adressa un sourire plein de dents à Skylark.

« On va bien en trouver qui te plairont, t'inquiète ! Tiens, on peut s'asseoir en attendant. »

Ajouta-t-il en désignant une table et des chaises sur un côté de la Cuisine.

Il aurait pu demander de la viande aussi. Ca ne l’aurait pas dérangé, loin de là. Mais il sentait qu’il valait mieux se contenter des biscuits pour l’instant. Autant ne pas causer du souci à tout le monde à cause d’un caprice égocentrique. Même si l’humain avait un bien meilleur goût que les biscuits. Sauf certaines sortes de biscuits bien entendu. Pendant un instant, Skylark se demandait si les biscuits aux pépites de viande existaient. Il en demanderait à sa mère quand il retournerait chez lui, soit dans assez longtemps. Elle lui passait presque tout de toute manière.

Le bras autour de ses épaules manqua de le faire sursauter, cependant le sourire du rouquin le rassura un brin et il se laissa faire, se détendant légèrement. Il ne savait pas trop quoi dire, peu habitué à ce type de gestes et, heureusement, Hybris prit la parole avant lui. Il trouvait son aîné plutôt gentil et avait une assez bonne impression de lui. Il espérait que les autres élèves de cette école étaient tous aussi sympathiques. Quoiqu’il en doutait un brin, sa mère lui avait dit que c’était assez varié.

« D’accord. »

A croire que le vocabulaire du russe se limitait plus ou moins à ça pour l’instant. Mais ce n’était pas de sa faute s’il détestait prendre des décisions, surtout quand les autres étaient bien plus doués que lui à ça. Sagement, il écouta ce que disait le préfet à l’elfe, étrange petite créature décidément. Intérieurement, il nota le ton d’Hybris, comment il s’y prenait, histoire de pouvoir faire de même la fois suivante. Même s’il n’oserait sans doute pas agir par lui-même pour le moment. Le gamin hocha la tête en entendant la proposition de s’asseoir et il se dirigea vers la table, tout en attendant qu’Hybris fasse de même avant de s’y asseoir, posant sa besace à côté de lui. Il sembla hésiter quelques secondes, comme s’il cherchait quoi dire, ses jambes se balançant doucement dans le vide en frôlant le sol, le tabouret était haut.

« Merci. »

Il marqua une légère pause, n’étant pas très sûr de ce qu’il devait faire et finalement, il afficha un petit sourire, un peu maladroit. Ce n’était pas vraiment dans ses habitudes mais on lui avait dit que sourire était une bonne chose. D’ailleurs Hybris le faisait beaucoup. Et c’était quelqu’un de bien, non ?