Histoire : Copenhague - DanemarkSoren toisait le gamin d’un air pas franchement ravi. Voilà quelque chose qu’il n’avait pas prévu. Et qui l’embêtait fortement… Un morveux. Il ne manquait plus que ça ! Pourquoi ne lui en avait-elle pas parlé plus tôt ? Il aurait pu alors tout arrêter avant qu’il ne soit trop tard pour faire marche arrière. Oh bien sur il pourrait toujours tourner les talons, s’en aller pour ne plus revenir et oublier jusqu’à l’existence de ces deux yeux bleus d’une pureté rare, toujours empreint d’une tendresse infinie lorsqu’ils se posaient sur lui. Mais voilà, tout froid et distant qu’il était, il restait humain. Il restait un homme. Et cette femme là… il ne voulait vraiment pas la quitter. Il ne pouvait pas.
Son regard sombre se porta sur le visage de Karen. Chacun de ses traits fins reflétait l’amour qu’elle lui portait, les deux lacs de ses yeux fixés sur lui ne le quittaient pas une seule seconde, sa main fine et pâle ne cessait de remettre en place ses longs cheveux blond, qui auréolaient son visage d’un million de rayons de soleil. Et de nouveau il chuta sur le gosse. L’infâme gamin qui jurait affreusement dans le tableau qu’ils formaient, lui et Karen. L’erreur, l’obstacle qu’il n’avait même pas imaginé rencontrer. Il n’aurait pas du se trouver là. Il s’était trompé, il n’avait pas choisit la bonne mère, pas le bon endroit pour exister. Il n’avait rien à faire là, accroché à la main frêle de la jeune femme, à le fixer anxieusement de son regard si semblable à celui de Karen.
Elle n’avait pas le droit de le lui imposer, il n’accepterait jamais cet enfant qui n’était pas le sien, cet enfant dont chaque souffle lui rappelait qu’un autre avant lui avait regarder Karen, l’avait désiré, touché, embrassé. Qu’un autre avait couvert son corps si parfait de baisers brûlants.
Soren détourna les yeux du blondinet pour les fixer sur un arbre du parc. Un châtaignier dont les feuilles jaunissantes ne tarderaient pas à parsemer les chemins du parc, emportées par le vent d’automne. Qu’allait-il faire à présent ? Il savait parfaitement qu’il ne pourrait vivre avec Karen sans être obligé d’accepter l’enfant du même coup. Bon Dieu… Elle aurait pu lui en parler. Elle aurait du. Mais elle ne l’avait pas fait. Et il était trop tard à présent.
Il lui adressa un sourire crispé et aussitôt son visage se détendit. Ses yeux brillaient de bonheur et elle se pencha pour déposer un baiser sur ses lèvres. Un baiser léger qui lui laissa un goût désagréable sur les lèvres. Un goût de déception. Un goût d’amertume.
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Un sourire se dessina sur ses lèvres, éclairant d’un coup son visage triste. Elle écarta un peu plus le rideau de la fenêtre en se penchant en avant. Eden était en retard. Une fois de plus. Elle savait bien qu’il le faisait exprès. Il mettait le plus de temps possible pour rentrer, comme si il voulait retarder chaque fois plus le moment où il franchirait la porte. Elle laissa s’échapper un léger soupir. Les choses de s’étaient pas exactement passées comme elle l’aurait souhaité. Pas du tout même. Depuis qu’elle avait emménagé avec Soren, Eden s’était refermé sur lui-même, devenant plus distant et plus associable chaque jour. Ses relations avec son beau père avait très mal commencées et empirées très vite. Soren était dur et exigeant avec l’enfant. A l’époque il était encore tout petit. Il avait 4 ans. Il ne comprenait pas qui était cet homme ni pourquoi il aurait du lui obéir. Chacun de ses gestes, la moindre de ses paroles pouvait mettre Soren dans un tel état de fureur que parfois il lui faisait peur. Elle ne l’avait jamais vu comme ça.
Alors Ed se mettait à pleurer ce qui n’avait pour effet que d’énerver encore plus son beau-père. Et plus Soren criait, plus l’enfant hurlait, plus la fureur de l’homme augmentait et plus il criait. C’était un cercle vicieux, une boucle sans fin qui finissait toujours par des coups. La première fois qu’il l’avait battu, elle n’était pas là. La seconde non plus. Ni la troisième. Puis petit à petit il avait finit par ne plus s’occuper de savoir si elle était là ou pas. Et elle n’avait rien fait pour l’en empêcher. Elle n’avait rien dit. Jamais elle n’avait protesté.
Karen se mordit la lèvre. Jamais elle ne se pardonnerait de n’avoir pas réagis. Mais elle était encore jeune, elle aimait Soren d’un amour inébranlable, il était pour elle une deuxième chance. Elle pourrait être heureuse, enfin. Et elle ne voulait surtout pas gâcher cette chance. Elle avait bien trop peur que sa fureur se retourne contre elle et qu’il finisse par ne plus l’aimer. Alors elle ne disait rien. Elle se taisait. Et Soren s’en prenait à Eden dès qu’il en avait l’occasion, pour un détail, un regard de travers, un verre brisé, une minute de retard ou un service demandé. Il suffisait d’un rien pour qu’il se mette à battre l’enfant. Mais ce qu’il ne supportait pas c’était qu’il puisse lui résister. Ne plus pleurer, finir par même ignorer sa présence. Eden ne le regardait jamais, ne lui parlait pas. Il s’enfermait dans son monde, dessinait à longueur de temps. Il ne se plaignait même plus. Il n’avait pas peur. Rien ne semblait pouvoir l’atteindre. Et c’était pire que tout. Soren ne supportait pas qu’Eden puisse rester indifférent. Il voulait le faire souffrir, lui faire regretter d’avoir tout gâcher, d’être né, de respirer, d’exister tout simplement.
Karen alla ouvrir la porte avant même qu’Eden n’atteigne le palier. En grandissant l’enfant ressemblait de plus en plus à son père, même si ses cheveux blond et ses yeux bleus rappelaient inexorablement ceux de sa mère. Ce qui ne jouait pas en sa faveur. Chacun de ses traits reflétait ceux de son géniteurs et ça non plus Soren ne le supportait pas.
La jeune femme passe sa main fine sur la joue de son fils. Il semblait si petit et si fragile, du haut de ses 6 ans à peine. Avec un sourire tendre mêlé de regrets, elle s’effaça pour le laisser enter et referma derrière eux.
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*Ne répond pas. Surtout ne répond pas*Le crayon continua sa course sur le papier épais, traçant la courbe harmonieuse d’une colline. Sans lever les yeux de son ébauche de dessin, Eden s’efforça d’ignorer son beau-père qui venait juste de lui balancer une des remarques acerbes et blessantes dont il était devenu le grand spécialiste. On aurait presque dit que ses paroles ne l’avaient pas blessé, pas atteint. Qu’il ne les avait pas entendus. Presque…
« - Tu m’écoutes quand j’te parle sale morveux ?
- Non. »Oho. Mauvaise idée. Eden se mordit la lèvre. Il n’avait pas pu s’en empêcher. Il aurait voulu retenir ce mot, ce simple mot égaré qui, il le savait, lui vaudrai encore une fois de subir les coups qu’il feignait d’ignorer, de ne pas ressentir, mais qui chaque fois laissaient des marques plus profonde sur son corps et dans son âme.
D’un mouvement brusque Soren se leva et envoyer valser sa chaise à travers la pièce. Aussitôt Eden abandonna son crayon et le dessin inachevé que l’homme piétina sans même y prêter attention. En deux enjambées il avait déjà presque atteint la porte du salon. Trop tard. Il sentit la poigne de fer de Soren agripper ses cheveux blonds et le tirer en arrière. Il étouffa un gémissement douloureux. Soren attrapa son épaule et le fit pivoter pour l’obliger à lui faire face. Le regard bleu de l’enfant demeurait obstinément fixé sur ses chaussons, dont l’un était troué. Ses chaussons… Ses horribles chaussons. Si seulement son monde pouvait se résumer à cette paire de chausson en cet instant. Si seulement…
Le premier coup l’atteint à l’estomac et le plia en deux. Il en eu le souffle coupé. Tant mieux. Il ne pourrait lui faire plus mal. A moins de le tuer. Mais il ne pouvait pas… Sinon sa mère le quitterait. Eden esquiva le deuxième coup, destiné à sa tempe. Il s’éloigna en quelques pas titubant. Hors de lui, Soren le rattrapa et le poussa contre un mur, les mains plaquées sur ses épaules frêles. L’homme le plaqua contre la porte du cagibi qui s’ouvrit sous le choc. Le blondinet tomba en arrière atterrit au milieu des seaux, des balais et des produits d’entretiens. Dans un réflexe il le leva les bras au dessus de sa tête pour se protéger le visage. Mais les coups qu’ils attendaient ne vinrent pas. A sa grande surprise il entendit la porte claquer et tout devint noir.
A cet instant il redevint le gamin de 8 ans qu’il était. Brusquement d’un seul coup, la panique l’envahit et il se jeta contre le battant. Il entendit la clé tourner dans la serrure et ce simple bruit suffit à le rendre fou de terreur. Toutes les larmes que les coups n’arrivaient pas à faire couler depuis toutes ces années se mirent à couler le long de ses joues, encore et encore sans qu’il puisse se contrôler. Il pleurait tellement qu’il aurait pu se noyer dans ses propres sanglots. Il se mit à tambouriner sur la porte en hurlant de terreur. Il criait des mots qui ne voulaient rien dire. Cela dura une heure. Puis quand sa voix se fut brisée il se laissa glisser le long du mur, le visage cacher entre ses bras.
Ce noir… Toute cette obscurité. Son esprit était vide. Et le vide remplit d’horreur. Il avait l’impression d’étouffer, l’air lui manquait. La simple idée d’être enfermé dans une pièce si étroite le rendait fou. Il se serrait tuer si il avait pu, plutôt que de rester ici. Les larmes n’en finissaient pas d’inonder ses joues. Il ne parvenait pas à calmer sa respiration saccadée. Il ne pouvait rien faire d’autre que fermer les yeux et avoir peur. Rien d’autre que trembler. Et avoir peur…
*
Un immense sourire étirait les lèvres de Soren alors qu’il déchirait encore un dessin. Au moins le 15ème depuis qu’il avait enfermé Eden dans le cagibi. Il jeta les morceaux dans la cheminée ou crépitait déjà un bon feu. On aurait presque dit qu’il faisait cela ‘joyeusement’. Avec entrain il s’attaqua à une nouvelle feuille. Il observa un instant le visage que le sale gosse avait dessiné. C’était Karen… Quoi qu’il pu dire c’était vraiment très ressemblant. Plus pour longtemps… Le portrait fini lui aussi dans l’âtre. Et Soren était ravi. Il faisait un feu de joie avec la seule échappatoire d’Eden. Son monde, l’endroit fantastique où il se réfugiait, ces magnifiques paysages où il pouvait tranquillement oublier la vie réelle… Son univers sur papier réduit en cendre. Et pour couronner le tout il avait enfin trouvé. Il avait trouvé le moyen de briser ce sale petit blondinet. Le moyen de le faire fléchir, de faire s’écrouler le mur d’indifférence qui l’empêchait de souffrir. Un sourire carnassier se dessina de nouveau sur ses lèvres. Ce sale gosse ne passerait plus un seul jour en paix. Avec un peu de chance il quitterait la maison et irait vivre chez ses grands-parents.
Qui aurait pu imaginer que le morveux était claustrophobe ?...
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Karen referma la porte de la sale de bain derrière elle. Ses mains tremblaient tellement qu’elle eu du mal à ouvrir le robinet. Plusieurs fois de suite, elle s’aspergea le visage d’eau glacée en s’efforçant d’ignorer les horribles hurlements qui résonnaient dans tout l’appartement. Elle pressa ses mains mouillées sur ses oreilles pour ne plus entendre. C’était affreux, insoutenable. Jamais elle n’avait entendu un enfant hurler comme ça. C’était son enfant. Oui son enfant… Son trésor le plus précieux, la chair de sa chair, son petit, son amour. Et pourtant elle laissait faire. Depuis toutes ces années elle laissait faire.
Comme elle regrettait le temps ou Soren, cet homme brutal et violent, cet homme qu’elle aimait pourtant, malgré son fils, malgré ses remords, malgré elle, se contentait de frapper Eden. Cette pensée la dégoûta. Elle en eu la nausée. Et pourtant c’était vrai.
Son fils avait toujours été assez fort pour eux deux, assez fort pour vivre quand même sans son aide. Et aujourd’hui qu’il ne le pouvait plus, aujourd’hui que Soren avait les moyens de briser son enfant, allait-elle le laisser faire ?
Karen contempla son visage dans le miroir. Son reflet tremblant. Sa peau pâle, ses cernes sombres. Ses cheveux ternes. Et ses yeux… Ses grands yeux terrifiés. Et plus que jamais, à cet instant, elle se haïssait. Elle se haïssait de ne rien faire, de n’avoir jamais rien fait, d’avoir toujours laisser Eden souffrir. Etait-elle une mauvaise mère ? Etait-elle coupable d’aimer celui qui faisait tant de mal à son enfant ?
Et puis elle n’y tint plus. Brusquement elle ouvrit la porte et se dirigea vers le salon.
« Soren ! Ca suffit, arrêtes ! Laisse-le sortir ! »*
Soren se retourna immédiatement, surpris par les paroles de Karen. Elle se tenait debout, tremblante dans l’encadrement de la porte de la salle de bain. Pas un mot ne franchi les lèvres de l’homme. Son visage reflétait parfaitement l’étonnement qui s’était emparé de lui, bien plus que la colère. Elle venait de lui donner un ordre. Elle venait de le défendre. Son sale gamin, son bâtard, ce morveux sans père. Elle venait de le défendre. Pire que tout, elle venait de le défendre contre lui. Lui. Elle lui avait préféré un gamin de 9 ans.
Dans un élan de fureur, Soren se dirigea vers la porte et sortit en la claquant violemment, avant même que Karen n’ait pu faire un pas dans sa direction. Et il se retrouva dans la rue. Grise. Morne. Froide. Indifférente.
*
Il se tenait là, immobile. Il la contemplait. Si belle malgré les années écoulées, éprouvantes pour son cœur de mère et de femme aimante. Mais lui ne la voyait pas ainsi. Il ne voyait que ses yeux. Et les traces des larmes qu’elle venait juste d’essuyer du revers de sa main pâle. Elle ne tremblait pas mais son regard criait sa peur et l’angoisse qui la rongeait. Et lui restait là. Il pleurait toujours comme si il n’allait jamais plus pouvoir s’arrêter. A chaque fois que son beau-père l’enfermait dans le cagibi, cette pièce qu’il haïssait de toute son âme et qui représentait pour lui l’enfer sur terre, il croyait qu’il n’aurait plus de larmes à verser la prochaine fois, tellement il pleurait. Mais il y en avait toujours la fois suivante, et celle d’après…
Les yeux mi-clos, ébloui par la lumière qu’il n’avait pas espérer revoir avant plusieurs heures, Eden regardait sa mère. C’était elle qui avait ouvert la porte, elle qui avait mis fin au cauchemar. Ca semblait si irréel.
L’enfant fit un pas en avant et se blottit tout contre sa mère. Les bras fins de Karen l’entourèrent et il ne voulu plus jamais les quitter. Plus jamais.