(histoire en parrallèle avec celle d'Hélène (pour la seconde partie))HistoireUn raclement de pierre se fit entendre. Des petits cailloux roulèrent lorsque la vieille femme traîna ses pieds sur le chemin rocailleux. Une cane en bois dans une main, une longue pipe éteinte dans l’autre, elle avançait ainsi depuis plusieurs jours, sans prendre le temps de se reposer. Son corps était fripé et la plupart de ses cheveux étaient devenus blancs ; pire, ils commençaient à tomber sans même lui demander son autorisation. Il était plus que temps qu’elle trouve un nouveau réceptacle.
Sérénité O’Donnell était une magicienne. Pas au sens commun du terme, non : elle méprisait ces simples sorciers qui prétendaient faire de la magie avec une
baguette. Sa propre magie était bien plus ancienne, pas forcément plus puissante mais plus … vivante. Elle voyageait depuis plusieurs siècles sans rien attendre des autres, qu’ils soient humains, sorciers, vampires, ou autres êtres étranges moins connus. Car il y en avait, des créatures prétendues imaginaires qui étaient en réalité totalement réelles. Il suffisait d’avoir les yeux en face des trous pour s’en apercevoir ; mais évidemment, le commun des mortels préférait ne pas y croire. Il semblait beaucoup plus simple pour eux de se noyer dans leurs propres certitudes. Enfin, le monde tournait et c’était là l’essentiel.
La vieille femme soupira. Il y avait moins d’un siècle plus tôt sa magie était encore très répandue, mais elle se perdait maintenant au profit de sorcelleries plus simples. Extraire la magie du monde était en effet une tâche compliquée qui nécessitait plusieurs existences pour être maîtrisée parfaitement. Cette magie pouvait être rendue plus facile d’accès grâce à des artefacts divers mais c’était une activité qui ne pouvait pas être prise à la légère. Il fallait y plonger sa vie entière pour en tirer quelque chose …
Et voilà que son corps avait à nouveau dépéri et qu’il lui en fallait un autre. Cela ne ferait que le … combien-tième, déjà ? Aucune importance. Mais à chaque fois la recherche d’un corps adapté était toujours aussi malaisée. Il fallait un corps beau, jeune (Sérénité n’allait tout de même pas s’abaisser à avoir une enveloppe corporelle hideuse) et surtout qui n’abrite plus d’esprit. C’était là la tâche la plus difficile, qui nécessitait parfois de nombreuses années. Non, sa magie n’était pas une chose facile.
Heureusement une information avait filtré comme quoi une petite fille était morte quelque heure plus tôt d’un accident de la route. En temps normal Sérénité n’appréciait ni les voitures – des machines bruyantes qui dégradaient l’environnement – ni la mort des humains – cela faisait le ménage, mais restait une triste chose. Mais cette fois là, cette mort pourrait être utile. Les morts encéphaliques – ou morts cérébrales – laissaient en effet un corps près à l’emploi, sans locataire indésirable à l’intérieur. [1] Car, malgré tout, Sérénité possédait une conscience et ne portait pas dans son cœur les magiciens qui utilisaient le corps de personnes encore vivantes.
Clopin-clopant, la vieille femme finit par arriver au village dont on lui avait parlé. Elle s’approcha d’une des maisons et s’adossa au mur, reprenant son souffle. Il ne lui restait plus qu’à faire ses préparations, sortir de ce corps abîmé et prendre possession de l’autre. Elle ferait durant quelques jours la joie de la famille de la petite fille morte – l’avantage, dans les villages perdus, était que les habitants pensaient qu’un corps qui respirait était forcément en vie – puis elle pourrait reprendre ses pérégrinations.
***
Deux ans plus tardSérénité finit de tresser ses cheveux châtain clair en une tresse sévère qu’elle enroula derrière sa tête et elle s’observa dans le miroir. Bon. Il était difficile d’avoir un air suffisamment respectable lorsqu’on se trouvait dans un corps aussi jeune mais il fallait faire avec. Il finirait par grandir, il faudrait juste attendre quelques années. Au moins durerait-il plus longtemps que le précédent.
Elle autorisa un léger soupire à s’échapper de ses fines lèvres. Pourquoi avait-elle accepté de prendre une
apprentie ? Jusqu’à présent elle avait toujours refusé. Cela ne pourrait apporter que des tracas, et elle doutait qu’
une jeune fille de 18 ans, sans aucun rapport avec la magie jusqu’à présent, puisse être très douée. Mais la magicienne avait accepté de la regarder, et de la prendre avec elle si celle-ci présentait le moindre don. Ennuyant au possible … Elle fronça les sourcils lorsqu’elle se souvint de ce qui l’avait obligée à venir. D’accord, le père de cette fille était une très vieille connaissance qui l’avait aidée à plusieurs reprises malgré son manque affligeant de magie, mais … mmmh … il faudrait tout arranger pour le mieux.
Elle sortit vivement de la pièce qu’on lui avait prêtée pour l’occasion et se dirigea vers le salon. Ses vêtements étaient adaptés à sa taille mais pas totalement à son physique : il semblait étrange qu’une si petite fille – gamine – soit habillée aussi sévèrement, mais Sérénité savait que bientôt le corps serait soumit à l’esprit et qu’il s’adapterait.
Elle fronça le nez lorsqu’elle entra dans la pièce où l’attendait toute la famille. Les deux parents encadraient une adolescente assise sur le profond canapé. Sérénité n’appréciait pas trop sa tenue – le rouge était fait pour les grandes personnes – mais elle acquiesça devant l’air sage de la fille. Au moins semblait-il que sa future élève (il ne faisait malheureusement aucun doute qu’elle manifestait des dispositions prononcées pour la magie …) était de nature intelligente et attentive. Les genoux resserrés, elle se tenait droite et son regard franc observait attentivement la magicienne dans le corps d’enfant qui venait d’entrer. Peut-être pourrait-elle en tirer quelque chose …
Sérénité s’approcha à petits pas et plongea ses yeux dans ceux de la jeune fille. Elle sortit sa longue pipe d’une de ses poches sans détourner le regard et se mit à mordiller le bout de la pipe éteinte.
« Bon, d’accord. Je te prends avec moi, mais je ne veux aucune critique, reproche ou autre. Tu feras absolument tout ce que je te dirais et ce, sans poser la moindre question. J’aurais déjà assez à faire avec une présence gênante à mes côtés, je n’aurais pas besoin que tu en rajoutes. Je tâcherais de t’en apprendre le plus possible, en espérant que ta tête est suffisamment dure pour que mon enseignement ne soit pas perdu. Des questions ? »
L’adolescente hocha négativement la tête et Sérénité fit une petite grimace.
« Je ne t’ais pas interdit de parler lorsque c’est utile, même si je préfère le silence aux bruits superflus. Quel est ton nom ?
- Hélène, madame.
- Parfait. Maintenant, Hélène, tu peux te préparer à partir et faire tes adieux à ta famille et tous ceux qui sont ici, car tu ne reviendras pas de sitôt. »
***
Environ un an plus tardFinalement cette élève avait été très satisfaisante. Calme et intelligente, elle faisait ce qu’on lui demandait sans protester mais gardait tout de même une certaine liberté de jugement. Bref, de bonnes qualités pour une magicienne, surtout lorsqu’elle serait lâchée seule dans le monde et expérimenterait ses propres charmes. Car pour rester vivante, Sérénité avait du à la fois faire preuve de sagesse et de prudence, mais également d’invention.
Bien sûr le chemin était long pour apprendre cette magie. Il fallait commencer par des sorts très mineurs et peu utiles, utiliser divers artefacts, mais Hélène avait le bon goût de ne jamais se plaindre. Disciple méritante, elle pouvait même porter les bagages. Et elle avait un certain charme. D’apparence gracile avec un corps aux courbes gracieuses et un visage fin, quelques hommes l’avaient approchée de trop près et s’en étaient mordus les doigts. Elle ne se laissait pas faire par les imbéciles qui peuplaient les rues, et c’était tant mieux – dans le cas contraire, Sérénité se serait vue dans l’obligation d’y remédier. Il ne manquerait plus qu’une magicienne s’abaisse au niveau des autres …
Elle avait décidé de montrer à Hélène quelques créatures d’Amazonie. Il serait intéressant d’augmenter un peu sa culture ; rencontrer de véritables êtres magiques ne lui serait que profitable. Mais la jeune fille tardait à revenir dans la chambre d’hôtel qu’elles avaient louée. Elle était partie quelques heures plus tôt pour visiter la ville et n’était toujours pas revenue. Inquiétant … Hélène savait se débrouiller seule mais était tout de même une jeune fille fort jolie qui pouvait avoir quelques problèmes dans une ville inconnue.
Sérénité mordilla fortement sa pipe lorsqu’elle sentit un agencement magique se former à quelques pas de l’hôtel. Sa disciple pourrait-elle y être pour quelque chose ? Elle n’était pourtant pas encore capable d’utiliser ses pouvoirs ainsi ; elle arrivait à peine à se servir de quelques artefacts … Alors, une magie aussi puissante ?
La porte de la chambre claqua derrière elle lorsque la magicienne sortit en courant de la pièce. Une femme de chambre étonnée regarda passer comme une furie une petite fille habillée sévèrement, mais elle n’eut pas le temps de poser la moindre question car déjà elle était dehors. Elle se dirigea à la hâte vers l’endroit d’où émanait la magie. Elle stoppa vivement dans une petite rue ; elle ne sentait plus l’émanation mais devant elle se trouvait sa disciple, et si elle ne s’était pas arrêtée elle lui aurait embouti les côtes – ce qui n’était pas forcément utile.
Hélène semblait l’avoir entendu : la jeune fille se retourna et la regarda d’un air d’abord effrayé, puis intensément soulagé. Donc, cela avait finalement un rapport avec elle … voilà ce que ça lui rapportait, d’accepter une apprentie. Cela causait toujours des problèmes, quoi qu’on fasse.
La magicienne s’avança en faisait claquer ses talons sur les dalles du sol et, sans laisser le temps de réagir à l’autre fille, lui asséna une claque retentissante sur le visage.
« Qu’as-tu … Oh. »
Son regard venait de tomber sur le bras droit d’Hélène. De fines lignes sombres y avaient été dessinées, qui lui rappelaient de très mauvais souvenirs. Dans sa jeunesse fort lointaine, Sérénité avait un jour invoqué un djinn. Esprits très puissants, ceux-ci se laissaient difficilement contrôler et, lorsqu’ils étaient dans le monde réel et non emprisonnés dans un quelconque récipient – l’exemple le plus courant était une lampe, allez savoir pourquoi … - ils marquaient leurs maîtres de manière à toujours pouvoir les retrouver. Malheureusement, les djinns avaient tendance à se montrer … hum, disons qu’ils étaient le contraire de coopératifs. Certains ne pensaient qu’à s’amuser, d’autres à mettre l’endroit où ils se trouvaient sans dessus dessous … et encore, c’était dans le meilleur des cas. D’autres pouvaient causer des désastres bien plus grands. Ne restait plus qu’à espérer que celui qu’avait libéré cette imbécile n’était pas trop méchant.
« Tu ne sais pas ce que tu as fait, n’est-ce pas ? »
Hélène hocha négativement la tête. Apparemment, l’événement l’avait tellement choquée qu’elle en avait oublié la manière de parler …
« Que dis-tu ?
- Excusez-moi, madame. J’ai … J’ai acheté une boite dans une boutique qui … m’attirait, et lorsque je l’ai ouverte une forme sombre en est sortie, qui ressemblait à un humain. Je suis désolée. »
Des excuses, encore des excuses. La jeunesse ne pouvait-elle apprendre à agir ?
« Je suppose que tu n’as plus cette boite ?
- Non. Je ne la vois plus. »
Bien sur … Le djinn en avait sans doute profité pour la voler ; il savait sans aucun doute que la boite représentait l’une des seules choses capables de le renfermer.
« D’accord. Pour enrichir ta connaissance et t’empêcher de commettre de telles idioties à l’avenir le récipient qui contient un djinn – car, oui, c’est ce que tu as libéré dans la nature – est la seule chose qui permet de le contrôler. Il existe quelques autres méthodes mais bien difficiles, et qui demandent de longs temps de préparations. Et des ingrédients difficiles à trouver. Maintenant … On ne peut pas quitter cet endroit comme ça, mais on ne va pas non plus se plonger dans la forêt amazonienne à la recherche de créature magique alors que tu as libéré cette chose. Je connais une école de sorcellerie non loin d’ici ; je vais me renseigner et voir ce qu’on peut faire. »
Sérénité rajusta sa robe et fronça les sourcils. Effectivement, il faudrait faire avec, même si cela ne l’enchantait pas. Mais peut-être pourrait-elle tourner cette erreur en enseignement …
Elle attrapa prestement la main droite d’Hélène et l’entraîna à sa suite en direction de l’hôtel.
***
A l’hôtel, quelques jours plus tard.Se grattant le cuir chevelu avec le bout de sa pipe, un léger soupir s’échappa de ses lèvres. Ca y était. Elle n’avait pas pensé en être réduite à ça, mais … elle s’y ferait. Sales gamins ; il fallait espérer qu’ils ne seraient pas trop tapageurs. Sinon … sinon, elle leurs apprendrait ce qu’était le
respect. Heureusement la matière qu’elle enseignerait serait optionnelle ; il fallait espérer que les élèves médiocres n’aient pas envie d’assister au cours. Les autres, elle les accepterait et tenterait de leur enfoncer au moins un petit quelque chose d’utile dans leurs crânes … Car, oui : Sérénité allait faire partie du corps enseignant. Tout cela pour montrer à son apprentie ce qu’il en coûtait de faire des actes inconsidérés. L’école dans laquelle elles allaient aller étaient majoritairement remplie d’êtres … disons, dérivés d’humains (vampires, loups garous, démons et compagnie). Elle espérait qu’Hélène se ferait du souci au milieu de ce beau monde mais ne se faisait malheureusement que peu d’illusions. Depuis un an elle lui avait enseigné à ne pas avoir peur du monde occulte et y était plutôt bien parvenue … enfin, cela renforcerait l’enseignement.
La magicienne ne savait pas exactement combien de temps elle resterait dans cette école, mais il allait falloir un certain temps pour capturer ce maudit djinn. En espérant qu’Hélène le veuille – il y avait déjà eu des inconscients qui avaient décidé de garder des djinns en liberté (sous bonne garde, tout de même) mais cela c’était toujours au final retourné contre eux. Il allait également falloir chercher le « style » de ce djinn … les tâches étaient nombreuses. Ah, et les cours à préparer, aussi. Mais, étant donné que Sérénité allait enseigner l’utilisation des
runes et pierres magiques, cela ne lui poserait pas grand problème – il y avait bien longtemps qu’elle avait appris à maîtriser ces foutus artefacts. Non, le problème serait plutôt de les créer … heureusement, elle en avait un grand nombre en stock. En espérant que les élèves ne les lui abîment pas trop.
Enfin, elle avait entendu que des élèves plus « spéciaux » se trouvaient à Héméra – télépathes et autres humains aux pouvoirs étranges. Hélène pourrait suivre tous les cours – elle avait intérêt à aller même aux cours optionnels, cette petite … - et rencontrerait des personnes de son âge qui lui ressembleraient au moins un peu. Ou comment transformer l’ennui d’une erreur en enseignement complet.
[1] Après avoir fait quelques recherches il semble qu’on ne puisse utiliser (pour les dons d’organes …) les morts encéphaliques que s’ils décèdent dans un service de réanimation, mais Sérénité est une magicienne donc zut, sinon j’ai pas fini.